Le Grand Prix Historique d’Albi est la dernière manche de l’Historic Tour 2022. Mais c’est aussi le circuit où j’ai vu ma toute première course automobile. J’avais 12 ans. C’est également sur le circuit de karting en son sein que j’ai conduit pour la toute première fois un de ces engins. Je m’étais empressé à l’époque de mettre directement un tour à mon père, pourtant pilote en son temps.
Ce n’est donc pas sans émotion que je m’y retrouve, d’autant plus quand on sait que ce circuit est sur la sellette, compte-tenu du mécontentement des riverains. Il faut dire que ce Grand Prix Historique d’Albi a même failli être annulée.
Comme c’est aussi le circuit le plus proche de chez moi, j’avais envisagé à l’origine de rameuter tous les proches, copains, collègues et réseau, et de terminer ainsi cette dernière manche par une grande fiesta. Par manque de temps, mais aussi un peu par flemme et beaucoup par crainte, je n’ai finalement pas invité grand monde. Prévenant quelques rares personnes la veille des courses.
7 courses. 7 courses sur 10 où j’ai dû abandonner. 7 sur 12 si on compte le Grand Prix de France Historique, sans pouvoir rallier l’arrivée. Sur les 5 restantes, je compte certes 3 podiums, mais c’est bien trop peu à mon goût.
J’ai progressé tout au long de la saison, prenant confiance dans les diverses autos de la Classic Racing School, la Lotus 69 comme la Crosslé 16F.
Je le sais, je ne suis plus très loin des performances d’Eric, mais voilà, je ne peux pas le montrer. Je n’en ai pas l’occasion, et finalement c’est bien là où Eric est le meilleur : il ménage sa monture bien mieux que moi.
Cette fois, je n’ai pas envie de rentrer chez moi sans rallier l’arrivée. Mais je n’ai pas non plus envie d’offrir un spectacle désolant aux personnes qui seraient venues me voir.
Je n’ai donc qu’un seul objectif pour ce Grand Prix Historique d’Albi.
Finir.
Je ne vous le cache pas, ce n’est pas le circuit le plus difficile. Quelques chicanes sur lesquelles on peut passer à fond, entre-coupées de lignes droites privilégiant les voitures avec un bon moteur. En somme, la Lotus 69, avec son moteur refait main par Théo, est idéale. Le moteur fonctionne bien mais surtout, elle est d’une stabilité incroyable en virage.
Je n’avais jamais roulé sur ce circuit, mais clairement il ne présente pas de difficulté majeure, hormis d’être très rapide. Qui dit rapide dit donc également très fin sur son freinage et ses angles de volant. Coup de bol, c’est une discipline que l’on apprend très vite en karting. Je suis donc à mon avantage.
L’an dernier, Eric faisait son meilleur tour en 1’35″7 et Stéphane, coach pour la Classic Racing School en 1’34″0. Je ne l’ai dit à personne en arrivant, mais clairement je voulais battre Stéphane aux chronos, au moins lors des qualifs. Même si mon objectif est uniquement de ramener la voiture, faire un tour parfait lors des essais ou des qualifs serait un vrai bonus pour moi.
Les essais sont concluants, je fais mon meilleur temps en 1’35″5, et je me retrouve très compétitif par rapport à Eric.
Seulement voilà, la Lotus a décidé d’être capricieuse. Les collecteurs d’échappement se retrouvent fissurés.
J’ai peur que la voiture ne tienne pas le choc.
C’est l’heure des qualifs, Théo a ressoudé le collecteur d’échappement, et m’a rassuré : “Si ça recommence, tu entendras l’auto faire un bruit de kart, tu ne t’inquiètes pas. Tant que la température d’eau et la pression d’huile sont bonnes tu continues, c’est pas grave. C’est juste du bruit et au pire un peu de perte de perfo.”
Parfait. Je pars donc confiant. Pas de risque pour la voiture.
Pendant mes quelques tours, je me retrouve souvent dans le trafic. Gêné par d’autres concurrents. Concurrents de la catégorie supérieure d’ailleurs. Ce qui est plutôt bon signe car cela veut dire que mes chronos ne sont pas mauvais.
Pendant un moment, je me surprends même à suivre le quatuor de tête de la catégorie B. Voir… à devoir essayer de les doubler ! Ils finiront par être trop gênants, et je les laisse s’éloigner, sacrifiant un tour pour se faire.
Mon meilleur chrono est alors, comme le matin, en 1’35″5. Bien. Mais je sais que je peux faire bien mieux, si je n’étais pas gêné et que je faisais le tour parfait. Sans parler de trouver en plus quelqu’un de légèrement plus rapide pour prendre l’aspiration.
Soudain, je vois Eric dans le bac à gravier à l’avant dernier virage. Il ne roulera donc plus de la séance. Quel chrono a-t-il fait ? La veille il établissait un chrono à peu près similaire au mien. Il faut donc que je fasse mieux.
Pas le choix, c’est le dernier tour.
Je me jette dans le premier virage comme si ma vie en dépendait. Saute sur l’intégralité des vibreurs, mais avec la bonne trajectoire. Je le sens, je vais plus vite, je passe mes vitesses plus tôt.
Mon chrono m’indique que je suis en train de faire un tour en 1’34… je continue.
Dernier gros freinage aux 100 mètres. Parfait. Maintenant le dernier virage, ne pas déraper en sortie, y aller progressivement sur l’accélérateur.
Catapulté dans la ligne droite des stands je ferai mon meilleur chrono en 1’34″6.
Je ne sais pas encore combien cela me classe, mais je vois la tête de Coraline et Pierre à l’arrivée, hochant la tête et levant les pouces.
C’est Théo qui m’annonçait la nouvelle :
– « Bon, tu veux que je te dise ton classement ?
– Ben oui bien sûr !
– Ben c’est la pole mon grand ! T’as même mis une seconde pleine à Eric !”
Whaaat ??
Génial !! Ce soulagement ! Une seconde ??
L’euphorie retombe lorsqu’Alain Girardet (3ème au classement de la catégorie B), arrive vers moi et me félicite.
“Bon t’as bien roulé dis donc ! Mais la prochaine fois, quand t’as les 4 meilleurs devant toi, essaye de les suivre, n’essaye pas de les doubler ! J’ai pas pu m’empêcher de rire dans mon casque tout à l’heure.”
Super sympa, je ne doute pas une seule seconde que cela l’a fait rire. Mais j’ai tout de même bien compris le message, j’ai franchement gêné ses qualifs. J’en suis désolé. Mais en vrai j’avais aussi envie de lui répondre qu’il n’était franchement pas rapide de son côté, et que s’il passait mieux certains virages on ne se serait pas gêné de la sorte.
Je m’en retiens, car ce n’est pas l’esprit. Sa remarque était vraiment pleine de bienveillance. Quelque part c’est lui qui a raison.
La pole. C’est quelque chose d’exceptionnel. Je n’avais jamais ressenti ça en karting. Cela me donne presque un sentiment d’accomplissement. Quelque part, ça y est, mon Grand Prix Historique d’Albi est réussi.
Sur la grille de départ, je partirai en 7ème position. Eric 11ème. 5 voitures de la catégorie B nous séparent. C’est suffisant pour l’empêcher de remonter sur moi comme une balle. La dernière chose dont j’ai envie c’est d’avoir à me battre avec lui en piste et de risquer un tête-à-queue ou pire, un accrochage.
Mon objectif reste le même : finir la course. Lors de la pré-grille, je suis soulagé de me dire que mes chronos sont suffisamment bons pour ne pas avoir à stresser du résultat. Le pire des scénarios est de me faire doubler par Eric. Et alors ? Ce serait tout de même une belle deuxième place quoiqu’il arrive.
Il ne me reste donc plus qu’à… rouler. Juste rouler. Tranquillement. Et ramener la voiture.
Du côté d’Eric, pour être titré dans cet Historic Tour, la consigne est claire : il doit terminer les deux courses et ne pas concéder plus de 50 points à Michel Dupont. Et les chronos de ce dernier sont plus élevés. Le risque est donc faible pour Eric. S’il reste second, en restant tranquille, il peut sécuriser sa première place au championnat.
Je me place sur la grille après un bon tour de chauffe.
J’attends patiemment qu’un commissaire agite le drapeau vert dans mes rétros, signe que le départ va bientôt être donné, et que les feux vont bientôt s’allumer.
Pendant que je scrute le fond de grille, je vois Eric dans mes rétros. Visière relevée. Je ne peux dire ce qu’il regarde exactement. Mais clairement c’est dans ma direction. Je ne peux m’empêcher de penser (en tout bien tout honneur soyons clairs) “putain il va venir me chercher ce con”.
Drapeau vert, les feux s’allument
Puis s’éteignent.
Je prends un excellent départ, mais freine tôt pour ne pas risquer le contact. Je reste prudent au maximum.
Dès le premier tour, je sens que je vais plus vite que les voitures de devant. Mais pas assez pour les doubler dans les virages où elles sont plus lentes que moi. Or, dans les lignes droites, les classes B sont redoutablement plus efficaces, et je ne peux m’empêcher de concéder quelques places, tour après tour.
Au bout de la mi-course, j’aperçois Eric dans mon rétro. Une voiture blanche nous sépare. Elle cherche à me doubler.
Elle me double.
Non, je dois m’en servir, prendre l’aspiration, rester au contact et la redépasser sans la gêner.
Si j’y parviens, le pilote pourra à son tour prendre l’aspiration et nous pourrons ainsi nous débarrasser d’Eric qui se rapproche petit à petit.
Mon stratagème ne fonctionne pas, je reste devant mais Eric se rapproche de plus en plus de nous.
Pourtant à un moment c’est la voiture blanche qui décroche, ratant un virage. Il se retrouve donc directement à la bataille avec Eric. C’est ma chance. Si j’enchaîne de bon tours chronos, je peux les distancer et me mettre à l’abri de l’aspiration.
Au bout de quelques tours ils sont maintenant loin.
Le drapeau à damier s’abat. J’ai 5 secondes d’avance sur Eric.
Au moment de le franchir, je pousse un hurlement dans le casque. Je ne m’y attendais pas, mais je comprends maintenant que pendant tout ce temps j’étais dans une tension extrême.
Je réalise…
Je viens de gagner la course…
C’est bon. J’ai atteint mon objectif. J’ai ramené la voiture. Les collecteurs d’échappement ont cédé à nouveau. Mais rien de grave comme m’avait annoncé Théo. Quelques petites soudures et on sera bon pour la deuxième course.
J’ai en plus offert une victoire à la Classic Racing School sur ce Grand Prix Historique d’Albi.
Franchement, mon week-end est réussi. Je n’ai donc plus rien à prouver.
Après une sieste bien méritée, place au débrief de Julien Chaffard.
En regardant la vidéo de la course, clairement on constate deux points : j’ai la performance pour doubler là où je n’ai pas osé à la première course. Et je n’ai pas la bonne trajectoire sur le dernier virage.
Si je fais ça, je ne serais plus autant obligé de composer avec les classes B et pourrait même faire de meilleurs chronos in fine !
Seulement voilà, pour doubler, il faut oser se rapprocher.
C’est en étant détendu que je prends le départ de cette deuxième course du Grand Prix Historique d’Albi. J’ai fait la pole. Remporté la première course. Quoiqu’il se passe, le week-end est déjà exceptionnel.
Je pars en 10ème position. Eric, cette fois ci, pars juste derrière moi. Suivi juste derrière lui par Paul McMorran, directeur de Crosslé.
Je n’ai pas à m’inquiéter de quoique ce soit. Au pire, j’aurais juste fait une course de plus. Le week-end est déjà gagné pour moi, et concernant mes objectifs, il faut tout de même que je ramène la voiture.
Pourtant lorsque les feux s’éteignent, je ne peux m’en empêcher.
Je plonge à l’intérieur au premier virage, et reste au contact pour tenter de doubler au 4ème virage.
La trajectoire que nous avons trouvé avec Julien sur ce virage est démoniaque. Je vais vraiment plus vite que tout le monde. Seulement voilà… je vais même trop vite.
Le nez de ma monoplace se retrouve soulevé et tordu par la roue arrière de Jean-Michel Ogier.
N’importe quel autre week-end de course, j’aurais eu peur, j’aurais ressenti de la désolation, de l’inquiétude.
Pas cette fois. Je n’ai qu’une envie c’est de bouffer ceux qui sont devant. Eric ? Pourtant bien présent dans mes rétros, il n’est alors même plus une préoccupation.
Je continue de plus belle et engage une bataille féroce avec deux classes B, emmenées par Jean-Michel Ogier et Bernard Richard. J’aime autant vous prévenir, autant j’ai eu mes plus belles passes d’armes avec mes amis Belges. Autant là c’est la violence. Je n’ai jamais vu des tarés pareil. Moi-même je me surprends à tenter des dépassements complètement zinzins. On n’est clairement plus nous même tous les trois et plus rien d’autre n’existe sur Terre.
Quelques tours s’écoulent, Eric n’est plus du tout dans mes rétroviseurs, et le peloton de tête nous a bien distancés. Nous restons donc tous les trois en bataille acharnée.
Au bout de quelques tours, je retente une attaque sur Jean-Michel. Celui-ci se rabat, et c’est au virage le plus lent que sa roue arrière droite arrache complètement le nez de ma monoplace. Celui-ci tombe devant mon radiateur. Je le pousse, l’éjecte dans la pelouse mais continue comme si de rien n’était.
Au virage numéro 10, Jean-Michel se rabat à nouveau sur moi, m’obligeant à sortir de la piste pour l’éviter. Je prends un avertissement ! La prochaine sortie se soldera par 5 secondes de pénalité.
Ces deux évènements agiront comme un rappel à l’ordre. Non je ne suis pas là pour casser la voiture ! Il faut la ramener ! Qu’est-ce que je suis en train de faire ?? Me battre pour la première place ? J’y suis déjà ! Nico reprends-toi !
Je laisse donc filer Jean-Michel et Bernard. Cela ne vaut pas le coup. En plus, je vois bien que mon radiateur est tordu ! Je regarde ma température d’eau qui continue d’être à 70°. Tout va bien donc, mais il faut que j’arrête les conneries.
Moins d’un tour après, je suis à nouveau au contact des deux compères. C’est plus fort que moi. Je ne suis pas moi-même, et il faut que je les double. J’ai vraiment les crocs. Comme si je libérais 7 courses de frustrations et d’abandons.
On continue à se doubler et à se re-doubler tous les trois. L’intensité et la stupidité de nos dépassements n’a pas baissé.
Dernier tour, j’arrive à doubler Jean-Michel qui a clairement lâché. J’essaye de rattraper Bernard, mais il me manquera une seconde sur la ligne d’arrivée.
Eric finira, 3ème, 9/100èmes de secondes derrière Paul McMorran. Cela rappelle étrangement les fameux 9/100èmes du Grand Prix de France Historique. Les deux hommes ont presque 18 secondes de retard sur moi…
De retour au paddock, après le podium, Bernard vient en courant vers moi pour me féliciter. Il est tout sourire. On rigole ensemble de à quel point on a été complètement stupide l’un et l’autre, mais de à quel point on s’est marée.
C’était un Grand Prix Historique d’Albi complètement fou.
Probablement la meilleure course de ma vie.
Et sans le vouloir, je viens de ramener à la Classic Racing School le meilleur résultat de son existence sur ce Grand Prix Historique d’Albi :
La direction technique de course n’y croira pas non plus elle-même puisqu’elle demandera à Théo de démonter le moteur pour vérifier qu’il n’y a pas eu de triche.
On notera tout de même leur gentillesse d’avoir récupéré le nez de la Lotus, échoué dans l’herbe. Ce qui m’a permis de passer à la pesée avec, et donc de rester au-dessus des 500kg réglementaires.
Toutes vérifications techniques faites, je conserve mes classements aux courses.
Je suis donc 4ème du championnat.
Décevant pour Michel Vaillant peut-être… Mais, en vrai, pas mal pour un débutant non ?
Dis donc Julien…. elle est pas à vendre la Lotus par hasard ?
-Nicolas Hermet | En-tête : ©Laurent Gayral